Larry Tremblay
153 pages, éditions Folio, mars 2016
L'histoire :
«Quand Amed pleure, Aziz pleure aussi. Quand Aziz rit, Amed rit aussi.»
Ces frères jumeaux auraient pu vivre paisiblement à l'ombre des orangers. Mais un obus traverse le ciel, tuant leurs grands-parents. La guerre s'empare de leur enfance et sépare leurs destins. Amed, à moins que ce ne soit Aziz, devra consentir au plus grand des sacrifices.
Merci à Livraddict et aux éditions Folio pour cette lecture.
Mon avis :
Il est bien difficile de parler de ce livre et d'expliquer toutes les émotions que sa lecture engendre. Difficile aussi de parler de toutes les questions qui se bousculent dans nos têtes et de tout ce que ce livre remue... C'est un roman que l'on peut qualifier d'actuel et en même temps d'intemporel. Une sorte de fable moderne. On ne sait pas vraiment où se passe l'histoire ni quand, ce qui rend le roman encore plus percutant.
C'est l'histoire de deux frères inséparables qui vivent avec leurs parents dans une orangeraie. Ils n'ont que neuf ans, mais c'est pourtant la fin de leur enfance et de leur insouciance, même s'ils ne le savent pas encore... Un obus a décimé leurs grands-parents et un homme est venu parler à leur père. Depuis, il n'est plus le même et a quelque chose en tête...
On ne choisit pas son pays, l'époque à laquelle on vit, sa famille, les obstacles que l'on rencontre. On est là et c'est comme ça. Il faut faire avec. Vivre sans savoir si notre vie aurait été différente ailleurs, se demander si on a fait les bons choix, s'il y avait d'autres solutions. Qu'aurions nous fait si nous étions nés ailleurs, si nous avions été élevés avec d'autres idées, d'autres valeurs ? On vit tous avec notre lot d'injustices et de souffrances, les conséquences de nos choix, nos regrets, une bonne dose de culpabilité pour ce qu'on a fait, ce qu'on n'a pas fait et ce qu'on aurait dû faire. Mais jusqu'où peuvent mener la souffrance et la haine ?
J'ai aimé la manière dont l'auteur s'y est pris pour aborder son sujet. Ce n'est vraiment pas évident de parler de la guerre, du fanatisme, de sacrifice et d'embrigadement. Ce qui m'a plu, c'est qu'il ne se place pas en donneur de leçons. Il nous montre au contraire que tout n'est jamais tout noir ou tout blanc. Il n'y a pas le mal d'un côté et le bien de l'autre. C'est bien plus complexe que cela et il arrive même à nous faire comprendre comment se font manipuler certaines personnes. Larry Tremblay nous invite, au contraire, à réfléchir et à tirer nos propres conclusions. Le livre est court, mais le texte est brutal et marquant. Il y a des passages qui nous brisent le coeur. J'ai été très émue par ces deux frères, mais aussi par leur mère que l'on voit peu mais qui m'a vraiment touchée en plein coeur. C'est un récit très bien écrit qui prend aux tripes et que l'on ne peut/doit pas oublier.
Sur le moment, la dernière partie du livre m'a un peu déçue, mais avec du recul, je comprends le choix de l'auteur. Quelle lecture ! La dernière page est tournée mais notre réflexion ne fait que commencer. On a l'impression d'entendre les voix de toutes les nombreuses victimes de guerre, on entend leurs cris, la souffrance de ceux qui restent et qui perdent ceux qu'ils aiment. On a envie de crier, de pleurer. C'est un texte qui remue vraiment mais qu'il faut lire absolument. On ne peut pas fermer les yeux sur ce qui se passe dans le monde.
En quelques mots :
Un livre qui frappe fort et nous touche en plein coeur.
A lire absolument !
Quelques extraits :
"Mais pourquoi faut-il vivre dans un pays où le temps ne peut pas faire son travail ? La peinture n’a pas le temps de s’écailler, les rideaux n’ont pas le temps de jaunir, les assiettes n’ont pas le temps de s’ébrécher. Les choses ne font jamais leur temps, les vivants sont toujours plus lents que les morts. Les hommes dans notre pays vieillissent plus vite que leur femme. Ils se dessèchent comme des feuilles de tabac. C’est la haine qui tient leurs os en place. Sans la haine, ils s’écrouleraient dans la poussière pour ne plus se relever. Le vent les ferait disparaître dans une bourrasque. Il n’y aurait plus que le gémissement de leur femme dans la nuit. Ecoute-moi, j’ai deux fils. L’un est la main, l’autre le poing. L’un prend, l’autre donne. Un jour c’est l’un, un jour c’est l’autre. Je t’en supplie, ne me prends pas les deux."
"En contemplant le ciel, Tamara se demandait si la lune avait connu le désir de la mort, celui de disparaître à jamais de la face de la nuit et de laisser les hommes orphelins de sa lumière. Sa pauvre lumière empruntée à celle du soleil."
"Elle s'asseyait sur le banc placé devant les roses et respirait les odeurs riches qui montaient de la terre humide. Elle se laissait bercer par la musique des insectes, levait la tête en cherchant la lune des yeux. Elle la regardait comme si c'était une vieille amie qu'elle venait rencontrer. Certaines nuits, la lune lui faisait penser à une empreinte d'ongle dans la chair du ciel."
"Je te parle avec de la paix dans mes mots, dans mes phrases. Je te parle avec une voix qui a sept ans, neuf ans, vingt ans, mille ans. L'entends-tu ?"