
Synopsis :
Viens donc Jules, disait au bout d’un moment un buveur raisonnable, ne réveille pas les morts, ils ont bien trop de choses à faire, sers-nous donc une tournée…Et Grand-père quittait son piédestal, un peu tremblant, emporté sans doute par le souvenir de cette femme qu’il avait si peu connue, si peu étreinte, et dont la photographie jaunissait au-dessus d’un globe de verre enfermant une natte de cheveux tressés qui avaient été les siens, et quelques pétales de roses à demi tombés en poussière. Il saisissait une bouteille, prenait son vieux torchon à carreaux écossais et, lent comme une peine jamais surmontée, allait remplir les verres des clients.
Mon avis :
Je viens de dévorer cette nouvelle que j'ai trouvé vraiment très belle. J'ai découvert Philippe Claudel il y a un peu plus d'un an, avec Les Ames grises qui a été un véritable coup de coeur pour moi. Je trouve son écriture poétique et magnifique. Les phrases sont tellement bien trouvées, tellement belles que je m'arrête souvent en pleine lecture pour les relire. J'ai retrouvé la même chose dans cette nouvelle, bien que le sujet soit complètement différent. Ici il est question d'un petit garçon de huit ans, qui après la mort de ses parents part vivre chez son grand-père. Celui-ci tient un bistro, et le petit passe beaucoup de temps à observer ce qui s'y passe. Des années plus tard, il revient sur ses souvenirs d'enfance et ses trois années passées au café de l'Excelsior. C'est un récit touchant, plein d'émotion, de nostalgie, de joie, qui m'a vraiment bouleversé. C'est tellement bien décrit qu'on a l'impression de vivre les souvenirs du narrateur. J'ai passé un très bon moment et j'ai déjà très envie de me plonger dans un autre livre de Philippe Claudel. Je vous laisse avec quelques passages que j'ai aimé, ils seront bien plus éloquents que tout ce que je pourrais en dire, et j'espère qu'il vous donneront envie de découvrir cette petite merveille.
***
" Va donc petit, je te pardonne, mange la vie car c'est du sucre à ton âge ! "
" Mais quand l'autre était parti, il finissait par répondre à haute voix, parlant à je ne sais quel fantôme, que les robes de mariées sont encore plus belles quand les années déposent en leurs soieries la fatigue des jours, et qu'un rideau retient parfois, en plus de la crasse, un peu des peines du monde et tous les sourires d'une vie."
" Quand nous marchions dans la Grande Ville, Grand-père et moi, nous avions l'air de deux égarés, gauches de gestes et d'allure. Nous n'étions pas chez nous. Sa grosse main serrait tant la mienne, chétive, qu'au soir de ces promenades, il avait tant pressé mes doigts que je ne pouvais les décoller et qu'ils restaient blancs comme des haricots beurre. "Ne me quitte pas" me répérait-il sans cesse, et ses propos me paraissaient toujours porter bien au-delà des après-midi citadines pour s'appliquer à une vie que je pressentais riche en aspérités. "
" Nous terminions notre périple sous les arbres taillés qui bordaient la place de la République. Au centre de celle-ci, la statue verdâtre d'un homme en redingote accueillait les merdes de pigeons avec une sérénité de bronze. Grand-père m'expliqua un jour qu'il s'agissait de Monsieur Thiers, un des plus fameux bouchers du siècle précédent, et que sa statue n'était pas là pour honorer sa mémoire, mais pour que les oiseaux de leurs fientes vengent toutes les créatures qu'il avait jadis assassinées. "
" Je fus sage à m'en tuer de gentillesse, même avec les pires individus, ceux qui d'un petit mot méchant savent semer des cailloux dans nos coeurs [...] "
" Nous délaissent sans prévenir les plus beaux de nos jours, et les larmes viennent après, dans les après-midi rejouées de solitude et de remords, quand nous avons atteint l'âge du regret et celui des retours. Les visages et les gestes que nous traquons dans l'ombre des puits de nos mémoires, les rires, les bouquets, les caresses, les silences boudeurs, les taloches aimantes, l'amour et le don de ceux qui nous mènent au seuil de la vie creusent notre souffrance autant qu'ils nous apaisent."
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" Va donc petit, je te pardonne, mange la vie car c'est du sucre à ton âge ! "
" Mais quand l'autre était parti, il finissait par répondre à haute voix, parlant à je ne sais quel fantôme, que les robes de mariées sont encore plus belles quand les années déposent en leurs soieries la fatigue des jours, et qu'un rideau retient parfois, en plus de la crasse, un peu des peines du monde et tous les sourires d'une vie."
" Quand nous marchions dans la Grande Ville, Grand-père et moi, nous avions l'air de deux égarés, gauches de gestes et d'allure. Nous n'étions pas chez nous. Sa grosse main serrait tant la mienne, chétive, qu'au soir de ces promenades, il avait tant pressé mes doigts que je ne pouvais les décoller et qu'ils restaient blancs comme des haricots beurre. "Ne me quitte pas" me répérait-il sans cesse, et ses propos me paraissaient toujours porter bien au-delà des après-midi citadines pour s'appliquer à une vie que je pressentais riche en aspérités. "
" Nous terminions notre périple sous les arbres taillés qui bordaient la place de la République. Au centre de celle-ci, la statue verdâtre d'un homme en redingote accueillait les merdes de pigeons avec une sérénité de bronze. Grand-père m'expliqua un jour qu'il s'agissait de Monsieur Thiers, un des plus fameux bouchers du siècle précédent, et que sa statue n'était pas là pour honorer sa mémoire, mais pour que les oiseaux de leurs fientes vengent toutes les créatures qu'il avait jadis assassinées. "
" Je fus sage à m'en tuer de gentillesse, même avec les pires individus, ceux qui d'un petit mot méchant savent semer des cailloux dans nos coeurs [...] "
" Nous délaissent sans prévenir les plus beaux de nos jours, et les larmes viennent après, dans les après-midi rejouées de solitude et de remords, quand nous avons atteint l'âge du regret et celui des retours. Les visages et les gestes que nous traquons dans l'ombre des puits de nos mémoires, les rires, les bouquets, les caresses, les silences boudeurs, les taloches aimantes, l'amour et le don de ceux qui nous mènent au seuil de la vie creusent notre souffrance autant qu'ils nous apaisent."
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(86 pages - Le Livre de Poche - 23 décembre 2006 - 4,50€)