Suite à ma lecture de ce roman, voilà quelques extraits de
"L'école des saveurs" de Erica Bauermeister.
"Lillian avait quatre ans lorsque son père les avait quittées et que sa mère, sous le choc, s'était réfugiée dans les livres. Elle l'avait regardée s'immerger et disparaître, percevant instinctivement, malgré son jeune âge, que cette décision avait été prise par instinct de survie, et elle s'était adaptée à l'univers qui allait désormais être le sien. Dans cette nouvelle vie, la figure de sa mère se transforma en une série de couvertures de livres à la place habituelle des yeux, du nez et de la bouche. Lillian ne tarda pas à comprendre que les couvertures pouvaient annoncer une humeur au même titre que les expressions du visage : sa mère s'enfonçait à tel point dans les profondeurs de ses lectures que la personnalité du personnage principal la nimbait comme un parfum appliqué dans discernement. Lillian ne savait jamais qui elle allait trouver à la table du petit déjeuner, bien que le peignoir, les cheveux et les pieds soient toujours les mêmes. C'était comme si elle avait une magicienne pour mère, à une différence près : Lillian soupçonnait les magiciens qu'elle voyait aux goûters d'anniversaire de rentrer chez eux et d'y redevenir des hommes corpulents, pères de trois enfants, avec une pelouse à tondre. Tandis que sa mère, elle, se contentait de finir un livre avant de passer directement au suivant." (Pages 13-14)

"Pour la mère de Lillian, chaque élément du livre était magique, mais ce qui la ravissait le plus, c'étaient les mots eux-mêmes. Elle recherchait les phrases exquises et les rythmes compliqués, les descriptions qui coulaient en ondulant sur la page comme de la pâte à gâteau dans le moule ; elle lisait à voix haute pour poser les mots dans l'air, où elle pouvait les entendre mais aussi les voir." (Page 14)

"Plus elle cuisinait, plus les épices lui apparaissaient chargées des émotions et souvenirs de leurs lieux d'origine et de tous ceux qu'elles avaient traversés durant leurs années de voyage. Elle découvrit aussi que les gens semblaient réagir aux épices comme à d'autres personnes, qu'ils étaient instinctivement détendus au contact de certaines et pris d'une sorte de rigidité cadavérique affective devant d'autres. A douze ans, Lillian avait acquis la conviction qu'un vrai cuisinier, un cuisinier qui sait lire les coeurs et les épices, pouvait prévoir les réactions avant la première bouchée et influencer ainsi le déroulement d'un repas ou d'une soirée." (Pages 19-20)
Julie & Julia ♥
"Ajoute le zeste d'orange et la cannelle au lait. Râpe le chocolat.
Celui-ci, sous son emballage jaune à rayures rouges, était brillant et foncé. Quand Lillian le passa contre sa râpe fine, il tomba en légers nuages sur le plan de travail avec des crissements âpres, exhalant une odeur d'arrière-boutique pleine de chocolat noir et de vieilles lettres d'amour, de fond de tiroir, de feuilles mortes, d'amandes, de sucre et de cannelle." (Page 33)
Julie & Julia ♥
"Isabelle s'était toujours représenté son esprit comme un jardin, un lieu magique où jouer quand elle était enfant, lorsque les adultes conversaient entre eux et qu'elle était censée écouter poliment [...] D'année en année, le jardin s'étendait, les sentiers devenaient plus longs et plus compliqués. Des prairies de souvenirs." (Page 179)

"Les soirs où l'air était doux, Isabelle mettait un des vieux disques de jazz de son père, ouvrait la porte du chalet et descendait jusqu'à la plage de galets. Tandis que le soleil glissait derrière le sommet des montagnes, le son triste et sensuel d'une trompette, la voix basse et grave d'une femme amoureuse coulaient du chalet comme de la lumière par une fenêtre ; Isabelle assise sur un bois flotté jouait avec les galets entre ses orteils, et les phoques montaient à la surface et écoutaient, leurs yeux sombres et intelligents pointant au-dessus de l'eau." (Pages 191-192)
(source)
"La Provence, quand Carl et elle y arrivèrent à la fin du mois d'août, sentait la lavande - l'air, les draps, le vin, même le lait dans son café le matin - , un imperceptible courant sous-jacent, un monde aquarelle d'un tendre violet. Elle s'aperçut qu'elle respirait plus lentement et plus profondément, pour l'attirer en elle, la garder en chaque partie d'elle-même pour plus tard." (Page 210)
(source)
"Antonia célèbrait des choses que lui-même avait toujours négligées, les considérant comme des étapes à expédier dans son trajet vers un but plus important. A son contact, il découvrait que même les expériences de la vie quotidienne devenaient plus profondes, plus nuancées, que satisfaction et conscience se glissaient entre les épaisseurs de l'existence comme des billets d'amour cachés entre les pages d'un cahier." (Page 240)
