Arrive un vagabond
(Heading out to wonderful)
Robert Goolrick
Catégorie(s) : Littérature américaine / Drame
Edition / Collection : Pocket
Date de parution : 7 novembre 2013
Nombre de pages : 344
Prix : 6,70€
L'histoire :
Brownsburg, Virginie, 1948.
Une petite ville paisible, aux maisons bien alignées. On y vit en bon voisinage, dans la crainte de Dieu et le respect des convenances. Le soir, sous les vérandas, on boit du thé glacé. Quand arrive un vagabond... Au volant d'un vieux pick-up déglingué, il s'appelle Charlie Beale et s'attire vite l'affection générale. Celle d'un enfant, d'abord, puis l'amour d'une femme mariée... La passion vient d'entrer dans Brownsburg, emportant avec elle ce qui pouvait rester de pureté et d'innocence...
Cela fait maintenant plusieurs années que je souhaite découvrir les romans de Robert Goolrick, et c'est sur celui-ci que mon choix s'est porté parce que la quatrième de couverture a attisé ma curiosité, notamment la citation extraite du Figaro dans laquelle on le décrit comme "un film noir couché sur papier blanc". Tentant n'est-ce pas ? Après lecture, je rejoint totalement le point de vue de ce journaliste. Quelle atmosphère, quelle ambiance, quel charme dans les descriptions ! Vraiment, on se croirait dans un film ! L'écriture de Robert Goolrick est vraiment agréable et belle. Il ne fait aucun doute que je lirai ses autres romans.
L'histoire de celui-ci se déroule après la guerre, en 1948, dans une petite ville de Virginie où tout le monde connaît tout le monde et où il ne se passe pas grand chose. Jusqu'au jour où débarque un nouveau venu, Charlie Beale, un homme libre et sans attaches qui s'accomode rapidement à sa nouvelle vie de sédentaire et décide de rester vivre là-bas. Mais l'arrivée de cet homme ne va pas être sans conséquence... Charlie Beale va bouleverser la vie de tout le monde en apportant avec lui la passion, le drame et les foudres de l'enfer. Désormais, plus rien ne sera comme avant...
Ce que j'ai aimé dans ce roman ? Beaucoup de choses... J'ai aimé la description de cette Amérique rurale d'après-guerre, plus vraie que nature, sa chaleur étouffante, ses soirées passées sous les vérandas à refaire le monde ou à colporter des ragots, ce puritanisme qui régit la vie en société, le vide laissé par la guerre encore récente et tout le poids de l'Histoire. Les descriptions des paysages sont d'une précision à couper le souffle. On se croirait avec Charlie, à la belle étoile, au bord de l'eau, on a l'impression de sentir la chaleur étouffante de l'été, les odeurs de la terre balayée par le vent. La période de l'Histoire choisie par l'auteur est vraiment très intéressante car assez proche de nous et pourtant si différente que ce soit dans la place des femmes au sein de la société ou de celles des noirs ou encore de l'importance de la religion et de la peur de la damnation.
J'ai adoré la façon dont l'auteur nous décrit Sylvan. Il a créé un personnage totalement fascinant. Belle, énigmatique et dangereuse ou jeune fille paumée, on ne sait pas vraiment comment la considérer. Elle s'est créé un personnage et on a parfois du mal à discerner le vrai du faux. Elle nous trouble autant qu'elle trouble Charlie et les habitants de Brownsburg. Et que dire de Sam, personne si attachant, si vrai, si pur... J'ai tellement aimé ces personnages... C'est vraiment à regret que je les quitte en refermant ce roman. Je serai bien restée un peu plus longtemps là-bas, à savourer un thé glacé en écoutant le silence ou en fredonnant une ballade entendue à travers le grésillement d'un vieux poste de radio. Le roman s'ouvre sur un incipit plein de sagesse qui nous met en garde et se referme sur un épilogue bouleversant.
"Arrive un vagabond" est un roman noir d'une grande intensité. On sent durant toute la lecture que les choses vont mal se terminer. On ne sait pas encore quand ni comment et on est comme suspendu aux mots du narrateur. On s'accroche, on dévore les pages à toute vitesse, on attend ce moment où tout va basculer autant qu'on le redoute car on n'a aucune envie de voir tout se briser. Ce récit est celui d'un amour impossible, beau et cruel à la fois, celui d'un rêve inacessible qui voile la réalité, mais c'est aussi une histoire d'apprentissage de la vie, de perte d'innocence et de prise de conscience. L'auteur nous invite à regarder en arrière, à essayer d'imaginer toutes les histoires qui ont pu se dérouler dans les endroits que l'on connait sans qu'on en ait conscience et sans qu'on y pense jamais. Qui sait quelles tragédies ont pu se dérouler dans le village paisible que l'on a toujours connu ou dans les murs que l'on habite ? Robert Goolrick signe ici un roman captivant, terriblement noir et hypnotique.
En quelques mots :
Un roman qui m'a captivé du début à la fin. On a l'impression d'être non pas devant mais dans un film dont l'histoire se déroule dans l'Amérique rurale et puritaine des années 40. Instructif, passionnant et bouleversant, j'ai adoré ce livre qui est, par ailleurs, très bien écrit !
Voilà comment l'histoire commence...
"Tout souvenir est une fiction, gardez bien ça à l'esprit. Bien sûr, il y a des événements dont on est certain qu'ils ont eu lieu, sur lesquels on peut sans hésiter mettre une date et une heure, à la minute près, mais, si on y réfléchit, ça concerne surtout ce qui arrive aux autres.
Ce que je m'apprête à vous raconter s'est bel et bien produit - et, à peu de choses près, de la manière dont je vais le décrire. C'est une histoire vraie, du moins a-t-elle la vérité que lui ont laissée une soixantaine d'années passées à se la remémorer et à la répéter. Le temps modifie nos perceptions, et parfois la confusion s'en mêle. On pourra se rappeler un détail avec une précision implacable - le temps qu'il faisait, ou bien le reflet que le soleil glissant entre les pins noirs faisait miroiter à la surface ondoyante de la rivière, des broutilles même pas reliées à un événement en particulier - alors que d'autres faits, parfois majeurs, nous reviendront de manière complètement décousue, sans forme visuelle ou sonore. Les détails ont finalement plus de réalité que certains événements importants." (Page 13)
Quelques extraits et citations :
"L'enfance est l'endroit le plus dangereux qui soit. Personne n'en sort indemne. [...] Si l'on devait y rester toujours, on ne vivrait pas très vieux." (Pages 141 & 150)
"Il y a des choses qu'on ne dit pas. On se contente de les porter." (Page 240)
"Sauver une vie, c'est sauver le monde. [...] Rien qu'une vie parmi des milliards, et ça change tout. Et pas seulement pour celui qui est sauvé." (Page 246)
"Le jour de l'anniversaire d'un enfant, tout est différent. Chaque instant est nimbé de grâce, d'une lumière de tout l'être - la conscience que chaque geste, chaque parole sont un geste et une parole d'anniversaire. Les gens savent qui vous êtes, ce jour-là." (Page 247)
"C'est tellement facile, de casser. Mais, une fois brisées, il est des choses qui ne se réparent jamais. Des plaies qui ne cicatrisent pas. Des deuils dont on ne se relève pas." (Page 290)