The Bright Forever - Lee Martin
320 pages, éditions Sonatine, février 2017
L'histoire :
Tout ce qu'on a su de cette soirée-là, c'est que Katie Mackey, 9 ans, était partie à la bibliothèque pour rendre des livres et qu'elle n'était pas rentrée chez elle. Puis peu à peu cette disparition a bouleversé la vie bien tranquille de cette petite ville de l'Indiana, elle a fait la une des journaux nationaux, la police a mené l'enquête, recueilli des dizaines de témoignages, mais personne n'a jamais su ce qui était arrivé à Katie. Que s'est-il réellement passé cet été là ? Trente ans après, quelques-uns des protagonistes se souviennent. Le frère de Katie, son professeur, la veuve d'un homme soupçonné du kidnapping, quelques voisins, tous prennent la parole, évoquent leurs souvenirs. Des secrets émergent, les langues se délient. Qui a dit la vérité, qui a menti, et aujourd'hui encore, qui manipule qui ? Avec ce magnifique roman polyphonique, littéralement habité par le désir et la perte, Lee Martin nous entraîne dans la résolution d'un crime à travers une exploration profonde et déchirante de la nature humaine.
Mon avis :
Je ressors de cette lecture complètement chamboulée et je ne sais pas du tout par où commencer pour vous en parler. Ce qui m'a plu tout de suite, c'est cette façon qu'a l'auteur de planter le décor avec aisance et de nous plonger dans une atmosphère particulière grâce à la magie des mots. Même si on sait que quelque chose de terrible s'est produit, on arrive presque à l'oublier tant l'auteur nous met à l'aise. Imaginez un peu... Une petite ville américaine ordinaire de celles à côté desquelles on passe sans s'arrêter. Une petite ville en apparence sans histoire où tout le monde connaît tout le monde. Les soirs d'été se suivent et se ressemblent. Il fait chaud. On boit du thé glacé et on joue aux cartes sur les porches. On discute entre voisins. On entend les rires des enfants qui jouent. L'air sent bon le gazon fraîchement tondu, les roses et les grillades. La vie s'écoule paisiblement. On se sent bien, on a l'impression que l'été durera toujours, qu'on a la vie devant soi et qu'il ne peut rien nous arriver. Et pourtant... Pourtant, c'est un soir d'été comme celui-là que la petite Katie, 9 ans, disparaît mystérieusement. Que lui est-il arrivé ?
Trente ans après les faits, des habitants de cette petite ville de l'Indiana racontent. Proches, voisins, tous nous dévoilent leurs souvenirs de cet été-là. Grâce à leurs témoignages, les pièces du puzzle se mettent peu à peu en place et leurs différentes voix viennent rendre l'atmosphère de cet été 1972 encore plus palpable. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai grandi dans une petite ville de ce genre, mais cela a fait remonter en moi énormément de souvenirs d'enfance. Je me suis souvenue des soirées d'été passées dans le jardin, des jeux dans le lotissement avec d'autres enfants. Nous étions si heureux, si libres, si insouciants. Comme Katie, nous pensions aux longues journées qui nous attendaient et s'étiraient infiniment, totalement aveugles aux problèmes et aux secrets des grandes personnes. Et c'est justement parce que cette atmosphère, cette douceur de vie, cette insouciance de l'enfance, est si bien retranscrite que le drame qui arrive est plus terrible encore et nous frappe de plein fouet. Parce qu'on prend conscience, maintenant qu'on n'est plus enfant, qu'on n'est jamais à l'abri. Que l'horreur peut s'abattre sur nous n'importe quand et surtout quand on ne s'y attend pas. Que la sécurité n'est qu'une illusion.
Cette disparition inquiétante va faire ressortir les vilains petits secrets de chacun. J'ai vraiment aimé la façon dont Lee Martin perçoit et décrit ses personnages. A aucun moment il ne les juge. Il n'est pas question d'être bon ou mauvais. Je pense aussi qu'il y a une part d'ombre en chacun de nous. Ses personnages sont crédibles, vrais et m'ont, pour le plupart, beaucoup touchée. Ils ont des regrets, des envies, des peurs, des sentiments et des désirs qu'ils n'assument pas ou ne comprennent pas vraiment ainsi que des secrets. Certains vivent écrasés sous le poids de leur culpabilité et d'autres se sentent tellement seuls qu'ils sont aveuglés par leur besoin d'aimer et d'être aimé. C'est un livre qui pousse à s'interroger sur la nature humaine et sur la responsabilité. Durant tout le roman, Lee Martin joue sur les contrastes : lumière et obscurité, bien et mal et - il l'explique d'ailleurs lui-même à la fin du livre - s'intéresse aux contradictions qui nous sont communes : solitude et bonheur, sécurité et menace, amour et rejet, complexité et simplicité. C'est un roman poignant, bien construit et vraiment très intéressant à étudier. Par son atmosphère il m'a fait penser à deux romans merveilleux : "Arrive un vagabond" de Robert Goolrick et "La Fin de l'innocence" de Megan Abbott et en raison des questionnements qu'il soulève sur la nature humaine, il m'a rappelé "Un roi sans divertissement" de Jean Giono et "Tout ce qu'on ne s'est jamais dit" de Celeste Ng. Je peux maintenant ajouter "Cet été-là" à la liste des livres qui m'ont vraiment chamboulée.
Ce n'est pas tellement le suspense ou les rebondissements que je retiendrai, mais vraiment cette atmosphère et ce questionnement sur l'humanité. Cette façon de nous dire "Vous vous croyez en sécurité ? Vous pensez connaître les gens qui vous entourent ? Vous croyez que rien ne peut vous arriver sous prétexte que vous êtes chez vous et que le soleil brille ? Détrompez-vous ! TOUT peut arriver. TOUT peut s'écrouler. Cette lecture m'a vraiment secouée. Elle m'a rendue terriblement nostalgique, m'a brisée le coeur et je me suis sentie très mal après l'avoir refermée mais - oui, je sais, c'est étrange - pour moi c'est quelque chose de très positif. J'aime quand un livre me fait ressentir quelque chose de fort, me retourne, me bouscule, me pousse à réfléchir. Le roman de Lee Martin n'est pas de ceux que l'on lit pour se distraire et que l'on oublie après l'avoir refermé, loin de là. Non, il est plutôt de ces livres qui nous poussent à aller plus loin dans la réflexion et avec lesquels on a l'impression qu'il y a un avant et un après. On se sait pas forcément à quel niveau, mais on se sent différent après ce genre de lecture. Grandi. Je suis encore troublée et choquée de tout ce que ce livre m'a fait ressentir et je pense que je vais mettre un moment à m'en remettre.
Petit bonus que j'ai beaucoup apprécié, à la fin du livre, l'auteur nous parle de son roman, de ce qui l'a poussé à l'écrire. Il nous parle aussi de son enfance et d'un souvenir particulièrement marquant et nous dévoile aussi une playlist très détaillée qui correspond bien à son roman et à ses personnages.
En quelques mots :
COUP DE COEUR
Magnifique, terriblement noir et poignant, ce roman polyphonique déchirant, plein d'émotions et de contrastes, nous pousse à nous interroger sur la nature humaine. Une lecture aussi fascinante que dérangeante.
"Les petites villes ne sont pas différentes des grandes à un égard : partout où il y a un cercle de lumière, il y a aussi quelqu'un qui se tient à l'extérieur."
" Le vrai caractère d’un homme se mesure à ce qu’il ferait s’il était sûr de ne jamais être découvert."
"C'est drôle comme quelqu'un peut arriver et ouvrir votre vie, vous montrer exactement ce qu'il y a à l'intérieur."
"C'était ce qui était bien avec l'été. Il était à vous. Il vous appartenait.
Si vous vouliez rire comme une idiote à une stupide blague d'escargot, vous pouviez. Si vous vouliez vous rouler par terre jusqu'à ce que vos cheveux soient tout ébouriffés et que vous soyez étourdie, hé, qui irait vous en empêcher ?"