Vice & Vertu (Mon amie Odalie)
(The other typist)
Suzanne Rindell
Catégorie(s) : Littérature américaine
Edition / Collection : Fleuve éditions
Date de parution : 12 juin 2014
Nombre de pages : 315
Prix : 19,50€
L'histoire :
Ce matin de 1924, quand Rose Baker, sténo-dactylographe au commissariat du Lower East Side, lève les yeux de sa machine à écrire, elle est saisie par la beauté, l'élégance et le magnétisme de sa nouvelle collègue. Elle n'est pas la seule, car Odalie envoûte tout le monde sur son passage. Pour Rose, jeune femme sans éclat, marquée par la rigueur de son éducation religieuse, cette rencontre signe le début d'une nouvelle vie. Et les deux femmes, pourtant aux antipodes l'une de l'autre, deviennent vite inséparables. Au contact d'Odalie, Rose perd ses repères, renie ses principes, découvre la grande vie et le monde interlope, celui des bars clandestins et des bootleggers. Mais bientôt, la fascination que Rose voue à son amie se meut en véritable obsession...
Voilà un roman que j'étais impatiente de découvrir et je ne suis pas du tout déçue. J'ai aimé me plonger dans l'univers fantasque et scandaleux des années folles et découvrir Rose et Odalie évoluer dans ce milieu. Elles sont tellement différentes l'une de l'autre ! Rose mène une vie calme et rangée. Elle a grandi dans un orphelinat et vit dans une pension de famille. Elle est solitaire, ne roule pas sur l'or, et il n'y a pas grand chose à dire sur sa vie en dehors de son travail de sténo-dactylographe dans un commissariat. C'est une femme très conservatrice pour qui la rigueur, la bienséance et la justice sont les maîtres-mots. Sa vie tranquille va être bousculée lorsque la mystérieuse Odalie fait irruption dans sa vie. Cette nouvelle collègue de travail est tellement charmante, tellement fascinante, tellement différente d'elle que Rose se retrouve hypnotisée dès le premier instant. Odalie la prend rapidement sous son aile et va lui faire découvrir un univers qui lui était jusqu'alors totalement inconnu, celui du grand luxe et des soirées clandestines. Mais qui est vraiment la sulfureuse Odalie ? Rose sait-elle vraiment dans quoi elle met les pieds ?
J'ai dévoré ce roman. Suzanne Rindell arrive sans peine à nous transporter à l'époque des années folles et l'on suit avec plaisir et fascination cette histoire qui nous est racontée par Rose. Nos deux héroïnes ne pourraient pas être plus différentes, à première vue, et pourtant malgré la rigueur et le sérieux qui la caractérisent, Rose a en elle l'envie de s'émanciper, d'acquérir plus de libertés, comme bon nombre de femmes à cette époque. On a l'impression qu'elle ne se connaît pas vraiment elle-même et elle va se découvrir peu à peu grâce à Odalie. Il y a dans ce livre une atmosphère assez difficile à décrire qui m'a beaucoup plu. On y retrouve la légèreté et l'insouciance des années folles mais il y a dans l'air comme un parfum de scandale et une menace qui plane. On sait que les choses vont mal tourner et on attend autant qu'on redoute que ça éclate.
Outre l'intrigue pleine de suspense et de mystères, j'ai beaucoup aimé la façon dont l'auteur nous décrit l'époque. On se rend compte que c'est une période charnière, que beaucoup de choses sont en train de changer et que rien ne sera plus jamais comme avant la guerre. Comme je le disais plus haut, il y a de l'insouciance et de la légèreté dans l'atmosphère comme dans les actes des protagonistes, mais on ressent aussi toute leur désillusion. Odalie l'explique très bien dans certains passages du livre. On a l'impression que tout le monde se voile la face, tente d'oublier quelque chose et l'ambiance si détendue et festive qui règne lors de toutes les soirées auxquelles Odalie et Rose assistent nous apparaît de plus en plus fausse, au fil des pages. C'est comme une comédie, une vaste blague auquel tout le monde jouerait sans se l'avouer. J'ai trouvé cela totalement fascinant !
L'écriture de l'auteur m'a vraiment beaucoup plu. D'ailleurs, j'ai noté des dizaines et des dizaines de passages et je vais avoir beaucoup de mal à faire un choix pour en sélectionner juste quelques uns. J'ai trouvé ce roman très bien écrit et la lecture en est fluide et agréable. Il n'y a pas de passages qui m'ont semblé longs ou inutiles. Tout a un sens. La construction de ce roman est brillante et bien pensée. On est totalement absorbé par l'histoire, si bien qu'on passe parfois à côté de choses évidentes. Il y a beaucoup de mystères et de suspense tout au long des pages et la fin est plus que troublante. On ressort de cette lecture un peu frustré car les questions se bousculent dans notre esprit. Je pense qu'il y a différentes façons d'interpréter les choses et je n'arrive pas bien à trancher et à savoir si ce parti pris me satisfait vraiment ou pas. En tout cas, ce qui est certain, c'est que ce roman m'a offert de belles heures d'évasion et je suis prête à retourner tout de suite dans les années folles !
En quelques mots :
Un roman surprenant et troublant qui nous transporte dans les années folles. Soirées clandestines, trafics, luxe et scandale, vous ne serez pas déçus du voyage !
"Ce qu'il y a, avec les règles,c'est que dès lors que vous en brisez une, vous ne tardez pas à en rompre d'autres, et forcément, la sévère architecture qui vous protégeait finit un jour ou l'autre par s'écrouler avec fracas."
"[...] j'avais du mal à empêcher mes pensées de vagabonder vers la fille assise à mes côtés. D'ordinaire, les gens mystérieux me rendaient nerveuse et je tâchais de les éviter. Je ne comprenais pas pour quelle raison il n'en allait pas de même avec Odalie. Comme tout le monde, je me laissais bêtement enivrer par son parfum de mystère."
"Ce fut une soirée agréable. En sortant du cinéma, nous décidâmes de regagner l'hôtel à pied. Odalie était convaincue que la marche me ragaillardirait. Nous remontâmes les avenurs d'un pas nonchalant, nous faufilant entre les chaises en rotin des terrasses de café. C'était peut être l'un des derniers jours de l'année où il faisait encore assez bon pour souper dehors, et il flottait dans l'air une sorte d'allégresse créée par les dîneurs déterminés à profiter de cette ultime douceur. Des flots de lumière jaune se déversaient de dessous les auvents, jetant des reflets dorés sous nos pieds et conférant aux visages des hommes et des femmes attablés des airs de citrouilles de Halloween éclairées de l'intérieur. Inconsciemment, nous glanions des bribes de conversations et des effluves de mets cuisinés au beurre et à l'ail. Comme les pigeons, nous picorions des miettes de l'ambiance de la rue."
"C'est drôle, j'ai souvent tenté d'imaginer combien le monde devait être différent à travers les yeux d'Odalie, les seuls à voir les ficelles de la magie. J'ai lu un jour dans un journal un article à propos de Houdini, dans lequel il disait que sa vie professionnelle n'avait été qu'une série de désillusions, et je ne peux m'empêcher de me demander aujourd'hui si Odalie ne portait pas le même regard sur le monde autour d'elle."
"Les religieuses disaient que la surface de peau exposée par une fille est directement proportionnelle à la noirceur de son coeur et à la faiblesse de son âme."
"Le doute, voyez-vous, est une nuisance dont il est extrêmement difficile de se débarrasser. Plus coriace que la pire des vermines, il s'infiltre par la plus infime des failles, et il devient quasiment impossible de s'en défaire."
"[...] c'était le monde qui s'adaptait à son rythme, et non l'inverse."