Un intérêt particulier pour les morts
(A Rare interest in Corpses)
Ann Granger
Catégorie(s) : Roman policier historique
Edition / Collection : 10/18 / Grands détectives
Date de parution : 20 juin 2013
Nombre de pages : 379
Prix : 7,50€
L'histoire :
Nous sommes en 1864 et Lizzie Martin accepte un poste de dame de compagnie à Londres auprès d’une riche veuve qui est aussi une propriétaire de taudis. Lizzie est intriguée d'apprendre que la précédente dame de compagnie a disparu, apparemment après s’être enfuie avec un inconnu. Mais quand le corps de la jeune fille est retrouvée dans les décombres de l'un des bidonvilles démolis récemment autour de la nouvelle gare de St Pancras, Lizzie commence à se demander ce qui s'est passé. Elle renoue avec un ami d'enfance, devenu l’inspecteur Benjamin Ross, et commence à enquêter avec son aide, au péril de sa vie, pour découvrir la vérité sur la mort de la jeune fille dont le sort semble étroitement lié au sien.
L'intrigue de ce roman se déroule à Londres en 1864. Lizzie est une provinciale célibataire et bientôt trentenaire. Orpheline de mère depuis son plus jeune âge, elle a été élevée par son père, un homme bon et généreux, médecin de profession, qui lui a inculqué des valeurs humanistes et lui a offert certainement plus de liberté que n'en avaient les jeunes filles à cette époque. Lizzie est donc une jeune fille en décalage avec son temps. Elle est curieuse, indépendante et progressiste. Elle a lu Darwin, n'a pas sa langue dans sa poche, et n'attend pas désespérément qu'un gentleman vienne lui demander sa main. A la mort de son père, elle se retrouve sans le sou et accepte une place de dame de compagnie chez une lointaine parente habitant Londres. Elle débarque ainsi dans la grande ville pour la première fois et découvre peu à peu l'autre côté du miroir... Outre les quartiers malfamés, la pauvreté, la crasse et les lieux de débauche, Londres abrite de superbes demeures qui cachent de bien vilaines choses... Qu'est-il arrivé à Maddie, l'ancienne dame de compagnie disparue peu de temps avant l'arrivée de Lizzie ? Est-elle vraiment partie de son plein gré ? Alors que tout le monde autour d'elle semble vouloir étouffer l'affaire, notre héroïne, assoiffée de justice, est bien décidée à découvrir le fin mot de l'histoire...
Je ne vais pas vous laisser mariner plus longtemps, j'ai beaucoup aimé cette lecture. Les personnages sont très attachants et je me réjouis de savoir qu'on les retrouvera dans d'autres enquêtes. Lizzie m'a vraiment beaucoup plu. Elle est intelligente, drôle et effrontée. Alors qu'elle mène officieusement l'enquête, c'est l'inspecteur Ross qui est chargé de l'affaire. Celui-ci n'est pas un ami d'enfance de Lizzie, comme il est écrit sur la quatrième de couverture, mais un personnage qu'elle a croisé une fois dans son enfance et qu'elle n'a jamais oublié. Ils vont se retrouver après de nombreuses années et le moins que l'on puisse dire c'est que le courant passe bien entre ces deux-là... Leurs rencontres et leurs échanges sont vraiment délicieux. Ils ont beaucoup de points communs et sont tous les deux humanistes et progressistes. Il y a des petits détails vraiment amusants. Par exemple, l'inspecteur Ross a pour habitude de prendre des notes durant ses enquêtes, chose qui ne se faisait absolument pas à l'époque. Ca choque les personnes qu'il interroge et fait rire ses collègues, mais il est persuadé que plus tard, tous les enquêteurs prendront des notes.
L'intrigue policière est très classique. Il n'y a rien d'extraordinaire de ce côté là même si le suspense est bien mené, mais j'ai été totalement conquise par la plume de l'auteur délicieusement acérée et par les dialogues qui sont totalement savoureux. Elle dresse un tableau très noir de Londres, dénonce l'hypocrisie des plus riches et les faux-semblants. Les gentleman, ladies et hommes de foi en prennent pour leur grade ! J'ai adoré tous les petits détails d'époque et la façon dont l'auteur nous transporte en plein XIXème siècle. La période qu'elle a choisi est fascinante. Nous sommes en pleine période de renouveau pour Londres. La gare St Pancras est en pleine construction. Tout le monde s'active dans les mines. On s'y croirait. On a l'impression d'entendre les sabots des chevaux, de sentir les odeurs qui se mêlent (feu, charbon, soufre, poussière, chou bouillie, crasse et transpiration... ça fait rêver, non ?) et d'être enseveli dans le brouillard londonien presque palpable. On a l'impression d'être isolé et prisonnier de ce monde vaporeux, humide et étouffant. Le temps semble suspendu, c'est comme s'il n'y avait plus ni jour ni nuit. Les gens restent calfeutrés chez eux, attendant vainement que le brouillard se lève. Il y a des scènes très réussies qui deviennent effrayantes tant l'atmosphère est troublante. Le roman est partagé entre deux univers opposés qui forment un beau tableau londonien du XIXème siècle : d'un côté les quartiers pauvres et malfamés avec leurs odeurs nauséabondes, les nombreux accidents sur les bords de la Tamise, les voleurs, les ivrognes et les prostituées et de l'autre, les gens aisés chez qui tea time et brandy sont de mise et qui sont souvent couverts d'un épais vernis d'hypocrisie. Tout le monde semble louche et suspect. C'est vraiment très bien ficelé.
"Le brouillard de Londres est ainsi. Il rôde autour de vous, d'abord caché dans la brume au-dessus du fleuve ou dans un tourbillon de vapeur dans un parc, et d'un seul coup, avant que vous ne vous en rendiez compte, il sort de sa tanière et il s'étend de toutes parts, comme une pieuvre en chasse qui allonge ses tentacules." (p314)
Le brouillard est une chose curieuse. Il joue des tours à notre esprit." (p342)
Ann Granger a déjà écrit plus d'une trentaine d'ouvrages qui a été traduit dans de nombreuses langues et ce roman est le premier traduit en français. Il était temps ! "Un intérêt particulier pour les morts" est le premier volet de sa série "Lizzie Martin" qui compte déjà quatre volumes en VO. Je suis vraiment impatiente de découvrir le suivant et de replonger dans cette noirceur victorienne. J'espère que la couverture du prochain roman sera aussi jolie que celle-ci car je la trouve vraiment magnifique. Je tiens également à préciser que la traduction est impeccable. Aucune tournure de phrase un peu étrange et je pense que la traductrice, Delphine Rivet, a bien su retranscrire la magie des dialogues. Pour cela, un grand merci !
En quelques mots :
Une intrigue plutôt classique mais un livre qui vaut le détour. Les personnages sont attachants, les dialogues savoureux et la plume de l'auteur acérée. Ann Granger dresse un tableau très sombre de la ville de Londres au XIXème siècle. On s'y croirait !