Quatrième de couverture et résumé :
" Maman est morte, je suis maman, voilà, c'est simple, c'est aussi simple que ça, c'est notre histoire à toutes les trois. Tu en mets du temps à raconter les histoires, je me disais quand elle me racontait une histoire dans mon lit. Là c'est allé vite, si vite, le regard de maman dans le regard de ma fille, c'est là qu'elle est, c'est là que je la retrouve, et dans ses gestes aussi, dans les gestes impatients, un peu brusques, de ma petite fille doublement aimée. Maman vit en Angèle qui court sur une pelouse interdite. Maman me parle et me sourit quand Angèle lance son regard de défi aux adultes qui la rattrapent et la grondent. Maman est là quand Angèle tombe et se relève aussitôt, les dents serrées, pour ne pas pleurer. Elle est dans le cri qu'elle ne pousse pas, dans sa petite grimace d'enfant crâne qui ne compose pas. Partout, dans mon enfant, ma mère a laissé son empreinte. "
*
Louise va mettre au monde son premier enfant, Alice, sa mère, se meurt. Elle aurait pu choisir un autre titre encore : Une fille à l’endroit, une mère à l’envers. Quand Louise va annoncer la naissance prochaine de sa fille Angèle à sa mère, recluse dans une chambre d’hôpital, l’impossible Alice se montre catégorique et lui affirme qu’elle se trompe. Une petite fille ne peut pas être enceinte. Pour Alice, Louise n’a pas grandi. Elle est le fruit d’un amour de jeunesse qui n’aura pas duré mais dont le père de Louise lui-même ne s’est sans doute jamais consolé. Si Louise a grandi, Alice n’est plus aimée.
Quand, après la disparition de sa mère, Louise retrouve son répertoire, elle comprend peu à peu qu’hormis les souvenirs indélébiles, ce carnet confus et sentimental est la seule chose qui va lui rester. À elle de recomposer la vie fracassée de cette femme au moment où elle doit envisager le présent et l’avenir de sa petite Angèle.
Mon avis :
J'ai découvert Justine Lévy avec son précédent roman, Rien de grave, que j'avais lu sans connaître toute l'histoire people et sans savoir qu'elle était la fille de Bernard-Henri Lévy, je pense que c'est important de le préciser. Je l'ai donc lu sans préjugés, sans rien attendre, et j'ai été bluffée par son talent et sa maîtrise des mots qui ont su me toucher. J'ai d'ailleurs lu ce livre plusieurs fois. C'est donc avec beaucoup d'impatience que j'attendais la sortie de son nouvel opus, et voilà, aujourd'hui c'est chose faite et je ressors de cette lecture toute chamboulée. Pourquoi ? Parce que le thème me touche particulièrement et me renvoie à mes souvenirs, à mon histoire, mais aussi parce que j'ai, encore une fois, été transportée par ses mots dans un tourbillon d'émotions diverses et variées. J'avais envie de crier, de pleurer, et même si ce ne fût pas une lecture facile, je suis contente d'avoir pu m'identifier à la narratrice, de lui avoir laissé mettre des mots sur ma douleur, ma rancœur.
Justine Lévy parle, comme dans ses précédents livres, de la maladie de sa mère et de leur relation difficile et particulière. Je ne sais pas où est le vrai, où est le faux, et je ne veux pas le savoir. L'émotion est là et c'est tout ce qui importe. La narratrice s'appelle Louise, et cette jeune femme tombe enceinte par accident, alors que sa mère se meurt d'un cancer dans une chambre d'hôpital. Louise ne se sent pas prête à affronter la maternité et refuse de croise que sa mère va mourir. Elle n'ose pas lui en parler, se sent coupable de porter la vie alors que sa mère s'éteint. Elle va jusqu'à ce sentir responsable en pensant que l'être qui grandit dans son ventre aspire le peu de vie qu'il reste à sa mère. Elle revient sur ses souvenirs, bons et mauvais, sur son enfance difficile, sur l'absence de sa mère paumée et droguée, sur ce qu'elle a aimé, ce qu'elle regrette. Et puis des fois, elle nous parle de son enfant, de sa petite fille qui lui rappelle tant sa mère. Cette mère qui vit dans les rires, les sourires, et les colères de son enfant. Cette mère qui sera toujours là, quoi qu'il arrive. On ne remplace pas une maman.
Comme je l'ai dit plus haut, ce roman m'a bouleversée. Justine Lévy, avec son style bien à elle, sait peindre les émotions, la douleur, l'amour, la haine, comme personne. Ses mots sont justes, durs, elle vous envoie sa peine en pleine figure, elle vous crache sa douleur, elle n'hésite pas à dire ce que les autres taisent, elle vous prend aux tripes, aspire votre air, et ne vous repose qu'une fois le livre terminé. Un livre choc, dur, mais salvateur. Un livre difficile mais plein d'espoir. Un livre à lire absolument !
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« Elle croit que je suis sa mère. Ça me fait peur, cette confiance qu'elle met en moi. C'est pas normal, je me dis. Elle le croit vraiment, que je suis sa mère. Elle ne sait pas que je suis cinglée, mauvaise, une catastrophe ambulante, un bloc de culpabilité, une punition. Je peux faire ce qui me chante, la mal aimer, la mal élever, la maltraiter même si je veux, […] elle m'aimera pareil, elle n'a pas le choix, elle m'aimera. »
« L'étage de maman, c'est l'étage de ceux qui vont bientôt mourir. Mais c'est une erreur, n'est-ce pas ? Si maman est là c'est bien parce qu'il n'y avait pas de place ailleurs ? Depuis la chambre de maman, on entend l'agonie des autres. Leurs râles. Les pleurs des proches. Leurs plaintes. Pas nous. Nous on n'est que de passage. […] Maman sortira bientôt. »
« […] je n'y ai pas cru. Je pense, aujourd'hui, que maman, elle, a compris. Mais moi non. Le ciel ne pouvait pas mourir. Ni la lune. Ni maman. Si maman meurt, je me disais, alors c'est que les bateaux peuvent voler, les chats pleurer, les maisons chanter à tue-tête. Pas possible. »
« Ça y est, elle est morte. Je devrais être soulagée, mais je ne suis pas soulagée. Maman est morte. Pourquoi, alors, a-t-elle encore l'air d'avoir si mal? Dehors, dans la cour, une femme a hurlé, et j'ai cru que c'était moi. Mais non, je n'ai pas hurlé, je n'ai rien dit, j'ai les mains jointes sur mon ventre, je ne pense à rien, je ne veux pas pleurer, je ne veux pas m'effondrer, j'attends que les gens arrivent, j'attends un moment décent pour sortir de cette chambre, je suis monstrueuse, […] je ne sais plus où j'en suis, je ne sais plus qui je suis, je suis sonnée, je me hais. »
« Je reviens dans la chambre. Pablo a éteint la lumière. Ah ben d'accord, super, je constate en shootant dans un oreiller et en déplaçant une chaise exprès. Si je comprends bien, j'ai pas le droit de lire ? Il se lève tôt demain, il proteste, il a un rendez-vous important. Je sais qu'il faut pas le stresser, qu'il a besoin de dormir, mais c'est plus fort que moi, j'ai envie de le provoquer, de l'agresser, et qu'il m'agresse aussi, une bonne scène, une bonne engueulade bien vivante, et le rendre responsable de tout, et qu'on se batte, et qu'on se fasse du mal, et que j'aie une bonne raison, une raison objective, claire, sans bavure, de me plaindre et d'aller mal. Quelque chose de bénin mais de net. Une dispute de couple bien sordide. Tout plutôt que cette boule que je sens grossir dans ma gorge, ce malheur qui veut sortir à tout prix, et tout éclabousser, et tout salir. »
« […] j'étouffe, je vais ouvrir la fenêtre mais c'est comme ouvrir un four, aller me jeter dans la chaleur du dehors, tout m'oppresse, le ciel, les nuages, les voisins, les voitures, le monde des vivants, […] et puis surtout ce bureau qui servait de chambre à maman, l'air est irrespirable, chargé de son parfum, de l'odeur de ses vêtements, ça suinte la maladie, la douleur et la mort, ça s'est imprégné partout, je peux pas rester dans cette pièce, je peux toucher à rien, comment peut-elle être si présente alors qu'elle n'existe plus, comment son odeur peut-elle s'être incrustée comme ça alors qu'en comptant l'hôpital ça fait facile six mois qu'elle n'est plus là, j'ai envie de vomir. »
« De quoi est-ce que j'aurais l'air ? Au fur et à mesure que mon ventre s'arrondit, que ma fille en moi grandit, c'est l'enfance en moi qui s'éloigne. Faut apprendre à être adulte, je le sais. Mais comment on fait pour ça, quel livre on lit, quel conseil on prend, quels cours, quel mode d'emploi ? »
« Il les garde toujours sur lui, les échographies. On n'y voit pas grand chose, surtout sur la première, celle qu'il préfère, je n'ai jamais compris pourquoi, et qu'il montre à tous les gens qu'il rencontre. Eux n'y voient qu'une tache, une goutte, une petite masse, une fumée. Mais, pour lui, c'est une vie. Une vie parmi des milliards de vies possibles. Cette vie-là. Pas une autre. […] Il s'y accroche tant qu'il peut, à cette vie. Il n'a que ça, lui. Il n'a pas le gros ventre. Il n'a pas les nausées, les pieds qui enflent, les chaussures qui ont l'air de chaussons. Alors, pour lui, c'est pas une goutte, c'est un océan. C'est pas une vie, c'est la vie. Il est si content. C'est son enfant. »
« Dehors, dans la rue, tout est pareil, rien n'a changé, les gens se hâtent, ils rentrent chez eux. Maman ? C'est moi, je suis rentrée. Quelle est ma place, maintenant, dans ce monde sans maman ? »
« Parfois, des gens que je connais à peine me demande de ses nouvelles. Mais comme je suis méchante, je les torture un peu. Maman ? Elle est morte, je réponds en souriant, froidement, sans ciller, mais comme j'aurais dit maman est au ciné. Elle est morte, je leur répète, en les regardant droit dans les yeux, en les forçant à baisser les leurs, à encaisser. Il n'y a pas de Maman. Il n'y a plus que Maman-est-morte. Sa-mère-est-morte, […] c'est un fait, c'est établi, j'ai les papiers, je peux le prouver. C'est comme ça qu'elle existe, maintenant, maman. Maman-est-morte, c'est le nouveau nom de maman. Et c'est ma façon aussi de mettre une barrière entre eux et moi, entre sa mort et leur pitié sirupeuse, sur-jouée, indécente. Et c'est ma façon, encore, de leur refiler, quand même un bout de ma peine. Même s'ils font semblant, ça fait rien. C'est bien qu'ils la pleurent aussi un peu, qu'ils m'allègent de ce chagrin [...] »
« Tu sais bien que je mens tout le temps, c'est comme ça, […] ça me protège, ça me fait du bien, c'est peut-être quand je mens que je suis le plus sincère [...] »
« Je sais que la date me poursuivra, que je vieillirai à la place de maman, que je prendrai chaque année deux ans, un pour moi, un pour elle, jusqu'au jour où je serai plus vieille qu'elle et que le temps m'aura rattrapée, il ne suffit pas de dire je ne crois pas au temps pour que le temps n'existe pas et qu'on ne souffre pas atrocement le jour de l'anniversaire de la naissance ou de la mort de sa maman. »
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(194 pages - éditions Stock - septembre 2009 - 16,50€)