Belle famille
Arthur Dreyfus
Catégorie(s) : Littérature francophone
Edition / Collection : Folio
Date de parution : 31 octobre 2013
Nombre de pages : 269
Prix : 6,80€
Quatrième de couverture :
Madec se dirigea vers la cuisine pour chercher un couteau à pointe fine. Comme s'il était surveillé, il s'interdit la lumière. L'obscurité ne faisait pas disparaître les formes, mais les couleurs. Est-ce ainsi que voyaient les gens dans les vieux films ? L'enfant ouvrit le tiroir à ustensiles. Ensuite, un peu de bruit, et beaucoup de silence.
En ce moment, je cours partout. J'ai des milliers de choses à faire, des enfants malades à soigner et à consoler et du retard à rattraper. Pourtant, après avoir ouvert ce livre, je n'ai plus réussi à le reposer et je l'ai dévoré dans l'après-midi, entre les biberons, les câlins et les médicaments à donner. Cela faisait bien longtemps que ça ne m'était pas arrivé. Ce livre m'a totalement happé. Je me suis sentie prisonnière, victime d'une curiosité malsaine qui me poussait à aller plus loin dans ma lecture malgré la monstruosité de l'histoire. Je voulais savoir, je voulais comprendre. Et maintenant, me voilà complètement chamboulée. Bien sûr, on ne peut pas lire ce roman sans penser à une histoire qui a fait le buzz il y a quelques années : la disparition de la petite Maddie alors qu'elle était en vacances en famille au Portugal. Disparition ? Meurtre ? Accident ? Enlèvement ? A ce jour, on ne connaît toujours pas le fin mot de l'histoire. Arthur Dreyfus s'est largement inspiré de cette sombre histoire pour écrire ce roman glaçant et percutant et le moins que l'on puisse dire, c'est que le parti qu'il prend fait froid dans le dos !
Nous faisons la connaissance de la famille Macand qui pourrait ressembler à beaucoup d'autres familles : trois enfants, une mère froide et autoritaire qui porte la culotte, un père un peu effacé qui semble se demander ce qu'il fait là, sans pour autant envisager de changer la moindre chose dans sa vie et des vacances en Italie qui approchent à grand pas. Des vacances qui vont mal se terminer puisque, Madec, l'un des enfants disparaît. L'auteur dresse le portrait psychologique de chaque personnage et alterne les points de vue. Il s'intéresse surtout à l'après, au cirque médiatique qui entoure ce drame, aux mensonges et aux rôles joués par certains et à la part de gloire que tout un chacun essaie d'obtenir même dans les moments les plus sombres. C'est terriblement noir, voire même glauque et en même temps fascinant. Ce qui est effrayant, c'est que le portrait que l'auteur nous fait des personnages semble vrai. C'est crédible et la distance, la froideur qu'il met dans ses mots apporte une crédibilité, une impression d'objectivité qu'on ne peut pas contrer. Il étale les faits sans jamais laisser place au doute. Avec cynisme, l'auteur décortique l'âme et l'esprit humain. Il s'attaque également à notre société à la dérive, et à son absurdité. Personne n'est blanc dans cette histoire. Tout le monde a quelque chose à se reprocher : la famille, la société, les médias, les opportunistes et même le lecteur.
J'ai trouvé ce roman pertinent, brillant et pleinement d'actualité puisqu'il aborde de nombreux sujets souvent tabous (la sexualité, la violence, le manque d'amour, le mensonge, l'acharnement médiatique, le coupable idéal à qui l'on jette trop vite la pierre etc...) et on pourrait rapprocher cette affaire de beaucoup d'autres. On est tenu en haleine du début à la fin, aussi choqué que fasciné. L'écriture d'Arthur Dreyfus est très agréable à lire et très mature malgré le jeune âge de l'auteur. J'ai d'ailleurs noté beaucoup de passages et de citations. C'est un roman qu'on ne peut pas oublier de sitôt. Je comprends que la façon dont l'auteur nous énonce les faits puisse déplaire par son côté froid, distant, qui peut paraître presque insensible, mais j'ai trouvé que c'était d'autant plus percutant et vraisemblant. Les dernières lignes m'ont glacé le sang. Je vais avoir du mal à m'en remettre...
En quelques mots :
Un roman qui vous prend aux tripes, vous happe et ne vous lâche pas avant de vous avoir ouvert les yeux. Ce serait mentir que de dire qu'on se sent comme avant en le refermant. C'est un roman qui choque, qui envoie valser nos certitudes, nous fait douter de tout et de tout le monde. On se sent presque coupable après l'avoir lu.
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"Je ne crois pas en la vérité. Comme l'esprit humain, elle a ses humeurs. Elle a son humour. On pense la tenir par une extrémité. De l'autre elle se dérobe, pour nous contraindre à rêver. L'écrivain ne fait rien d'autre que cela : rêver la vérité. A sa mode il la tourne ; comme le caramel mou confectionné par des tabliers blancs sur les marchés de Bretagne.
La matière première du romancier ne colle pas aux molaires. Elle flotte autour de lui. Ce sont des larmes. Ce sont des lignes. [...] L'écrivain n'est jamais fidèle à la vérité. Il lui préfère sa petite soeur, la vraisemblance." (Pages 13 & 14)
"Pourquoi regardait-il la vie au lieu de la vivre ? Jamais il ne s'était senti malheureux, seulement il ne comprenait pas la nécessité d'aller à l'école, à l'église, chez le dentiste, de recevoir des cousins à dîner. S'il consentait à jouer le jeu, c'est qu'il guettait la moindre de ces parenthèses - ces instants où, fracassant le réel, l'imprévu pouvait éclore. Une parenthèse, c'était le nuage de craie qui provoque l'éternuement de la maîtresse ; c'était le reflet azur du vitrail coulant sur le nez de Julien Matis ; c'étaient deux grandes personnes qui s'aiment sans se le dire." (Page 64)
"Pourquoi la vie, dans son grand hasard, distribuait-elle du sucre aux uns et du sel aux autres ?" (Page 232)
"L'enfance est un coloriage. [...] Si à la naissance, nous recevons tous le même carnet blanc, les couleurs pour l'illustrer sont inégalement distribuées [...]" (Page 234)
Merci à Livraddict et aux éditions Folio.