A Piece of the World - Christina Baker Kline
325 pages, éditions Belfond, octobre 2018
Présentation de l'éditeur :
L’arrivée de nouveaux voisins, la pétillante Betsy et son fiancé, le jeune peintre Andrew Wyeth, va bouleverser le quotidien de cette femme solitaire. Alors qu’une amitié naît entre elle et le couple, Christina s’interroge : pourra-t-elle jamais accéder à la demande d’Andrew de devenir son modèle ? Comment accepter de voir son corps brisé devenir l’objet d’étude d’un artiste, d’un homme ?
L’art est le reflet de l’âme. Et sur la toile, Christina redoute de voir apparaître ses failles, et celle qu’elle aurait tant désiré être…
Mon avis :
Connaissez-vous ce tableau d'Andrew Wyeth réalisé en 1948 ?
"Christina's World" est une oeuvre mystérieuse qui a fait couler beaucoup d'encre et qui, aujourd'hui encore, continue d'inspirer et de fasciner le monde entier. L'auteure de ce livre l'a découverte étant enfant et, devenue adulte, s'est donnée pour mission de nous faire découvrir le monde de Christina Olson, la femme du tableau. Qui était-elle ? Quelle est son histoire et celle de ce tableau ? En faisant de longues recherches, l'auteure a appris beaucoup de choses sur Christina et sa famille et s'est servie de tous ces éléments pour créer, avec beaucoup de sensibilité, une oeuvre de fiction bouleversante qui rend un bel hommage à cette femme fascinante.
Christina Olson est née dans le Maine, dans une modeste ferme où elle a grandi auprès de sa famille. Née avec une maladie rare, Christina avait beaucoup de mal à utiliser ses bras et ses jambes et même si les choses n'allaient pas en s'arrangeant au fil des années, elle a toujours refusé qu'on la regarde avec pitié ou qu'on la considère comme une petite chose fragile ou une personne handicapée. Christina préférait se débrouiller seule. Elle se déplaçait en s'accrochant où elle pouvait et lorsque sa paralysie a évolué, elle a préféré se déplacer en rampant plutôt qu'en fauteuil roulant. C'était une femme forte, courageuse et combative dont l'apparence ne correspondait pas du tout à ce qu'elle était vraiment, à l''intérieur. Malgré tout, peu de gens la connaissaient vraiment. Elle était terriblement seule...
Ce roman nous raconte son enfance, son histoire familiale, sa vie à l'âge adulte, ses rêves et ses désillusions. La maison où vit Christina est un personnage à part entière tant elle est chargée d'histoires et de fantômes. Sa grand-mère a passé une partie de sa vie à voyager avec son mari et il y a, dans la maison, une pièce entière remplie de coquillages dénichés aux quatre coins du monde. Dans cette maison, on laisse les portes ouvertes pour que les sorcières puissent circuler. On dit cette famille maudite car l'un de leurs ancêtres a pris part à la chasse aux sorcières de Salem. Le père de Christina, un marin suédois qui ne possédait rien, est arrivé dans cette famille un hiver et n'en est jamais reparti, s'octroyant ainsi la maison des Hathorn et l'héritage familial.
C'est donc dans ce lieu chargé d'ombres et de mystères que Christina passe ses journées et grandit, s'isolant de plus en plus du reste du monde... par choix ou par obligation. Elle se démène pour s'occuper du foyer et de la famille dans des conditions rudes, mais qui se soucie d'elle ? Malgré l'affection sincère de ses frères et de ses quelques amis, Christina est comme prisonnière de ce lieu, de sa vie, de son corps meurtri... Comme si elle évoluait dans une boule à neige. Elle est née ici et ne s'en ira jamais. Condamnée à voir ceux qu'elle aime partir les uns après les autres. L'arrivée inopinée d'Andrew Wyeth va lui apporter une bouffée d'oxygène et une tendre complicité va peu à peu se développer entre ces deux personnages qui ont finalement plus de choses en commun qu'il n'y paraît.
J'ai adoré ce roman plein d'émotions ! L'histoire de Christina est bouleversante et l'écriture de Christina Baker Kline est poétique, pleine de sensibilité et de pudeur. Les passages qui parlent du quotidien à la ferme et de la rudesse de cette vie sans confort sont très bien décrits et l'on croit sans peine Christina Baker Kline lorsqu'elle explique à la fin du livre qu'elle a connu cette vie d'un autre temps lorsqu'elle était jeune. On voudrait tellement que Christina puisse avoir une autre vie. C'est un personnage attachant et émouvant. Elle est forte et courageuse et en même temps fragilisée par ses déceptions et sa solitude. Et pourtant, elle s'accroche et ne s'apitoie jamais sur son sort.
Il y a des personnages secondaires que j'ai adoré (Sadie, Betsy, Alvaro, Mamey, etc...). Certains passages sont d'une beauté à couper le souffle et d'autres nous brisent le coeur. Quel roman fort et émouvant ! Je ne m'attendais pas à l'aimer autant mais cette histoire m'a touchée en plein coeur et je sais que je ne l'oublierai pas. Christina Olson est certainement l'un des personnages les plus marquants que j'ai pu croiser au cours de mes lectures. Que vous soyez passionnés par l'art et la peinture ou non, lisez ce très beau roman. Vous serez forcément touchés par Christina et son histoire et charmés par l'écriture poétique et pleine d'émotions de Christina Baker Kline.
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Quelques passages :
"Vivre dans une ferme, c'est livrer une guerre continuelle aux éléments, dit Mère. On doit refouler la nature indocile pour tenir le chaos à distance. Les fermiers travaillent dans le fumier avec des mules, des vaches et des cochons et la maison doit rester un sanctuaire. Si elle ne l'est pas, nous ne valons pas mieux que les animaux." (Page 43)
"Le jour où on l'enterre est maussade : ciel sans couleur, arbres à l'ossature grise, vieille neige comme couverte de suie. L'hiver, je pense, doit être fatigué de lui-même." (Page 104)
"Les fleurs fanent, se figent sous une gelée précoce, flétrissent sur les plantes grimpantes. Les arbres s'embrasent et se consument. Leurs feuilles s'effritent en cendre. Tout ce qui me satisfaisait autrefois dans la vie à la ferme m'emplit à présent d'impatience. Il m'est devenu plus difficile de supporter les mois qui suivent la fin de l'été, la régularité laborieuse de mes tâches quotidiennes, l'inévitable chute dans l'obscurité et le froid. J'ai l'impression de suivre un sentier étroit à travers des bois familiers, un sentier qui tourne en rond, dont je ne vois pas le bout." (Page 161)
"Et on en est là, tous les deux, pas mari et femme mais frère et soeur, destinés à finir notre existence ensemble dans la maison où l'on a grandi, cernés par les fantômes de nos ancêtres, hantés par les fantômes des vies que l'on aurait pu mener. [...] Personne ne saura jamais, quand on sera retournés à la poussière, la vie qu'on a partagée ici, nos désirs et nos doutes, notre intimité et notre solitude." (Pages 301-302)