Elise Fontenaille
92 pages, éditions Oskar, septembre 2017, dès 12 ans
L'histoire :
Comme tous les jeunes Indiens, Mukwa, 11 ans, est envoyé à Sainte-Cécilia, un pensionnat canadien dont l'éducation est confiée à des religieux. Malheureusement, cet établissement ne ressemble en rien à une école traditionnelle. Pour tout apprentissage, le jeune Ojibwé découvre l'humiliation, la privation de nourriture, les mauvais traitements... Car le mot d'ordre est Kill the Indian in the child : éliminer l'Indien dans l'enfant, lui faire oublier sa culture, sa religion, ses origines. Mais Mukwa se rebelle, décide de fuir et de rejoindre son père trappeur, dans la forêt...
Mon avis :
Mukwa n'a pas encore onze ans lorsqu'il est envoyé dans un pensionnat pour apprendre à lire et à écrire. Il n'a aucune envie de quitter les siens et son père n'a pas du tout envie de le laisser partir, mais ils n'ont pas le choix. C'est ainsi que les choses se passent désormais pour les indiens. Ils se consolent en se disant que cet éloignement ne durera qu'un temps et que les choses rentreront dans l'ordre par la suite et qu'ils pourront reprendre le cours de leurs vies. Mais ce qui attend Mukwa est bien pire que ce qu'ils s'imaginent et rien ne sera jamais plus comme avant...
Car à Sainte-Cécilia, les enfants indiens ne sont rien. Ils sont méprisés, battus, humiliés, violés et maltraités, le but étant soit disant de leur faire perdre leur côté sauvage, leur côté indien. Mais malgré toutes les privations et les humiliations, Mukwa s'accroche et reste fidèle à ses convictions. Ce qui le fait tenir, c'est l'espoir de retrouver les siens et la terre qu'il aime tant. Il rêve d'aller pêcher avec son père, entend encore les chants de sa grand-mère, se souvient de la saveur du sirop d'érable et sent le souffle de sa mère qui lui coiffe sa longue chevelure dont il ne reste désormais plus rien. C'est ainsi qu'il décide de s'enfuir pour retourner chez lui...
Quel choc ! Ce roman est glaçant et révoltant. On voit la vie d'un enfant, d'un innocent qui n'aurait jamais dû être séparé de sa famille, devenir un véritable enfer... Et pourquoi ? Parce que ceux qui se sentent supérieurs en ont décidé ainsi et se sentent tellement protégés par leur couleur et leur religion qu'ils se permettent les pires atrocités. Cette histoire n'a rien d'une fiction. Malheureusement, elle s'inspire d'un fait divers de 1966 qui a poussé un journaliste à s'intéresser de plus près aux écoles résidentielles du Canada alors que d'autres préféraient fermer les yeux. Cela a tellement fait scandale que le journaliste a perdu son emploi, mais son travail n'aura pas été vain puisqu'il a réussi à attirer l'attention sur ces terribles endroits.
Il aura tout de même fallu attendre 1996 pour que le dernier établissement de ce genre ferme ses portes. L'auteur nous l'explique à la fin du livre, il y avait plus d'une centaine d'établissements de ce genre au Canada et ils ont "abrité" près de 150 000 enfants indiens. On estime qu'il y a eu au moins 30 000 décès d'enfants derrière les portes de ces établissements. Et combien de traumatisés à vie ? Combien d'oubliés ? Il y a même eu un procès. Des nonnes et des prêtres ont été reconnus coupables, mais personne n'a jamais été condamné...
Ce n'est pas le genre de livres que l'on lit pour se détendre, mais j'estime que toutes les horreurs commises doivent être mises en lumière pour ne pas être répétées et je remercie Elise Fontenaille d'avoir écrit ce livre "choc". Si le lecteur n'est pas épargné, elle rend un bel hommage aux victimes de ces établissements. J'ai beaucoup aimé la manière dont Mukwa nous parle de sa vie avec les siens, des endroits qu'il aime, des traditions de son peuple et aussi la manière dont les esprits trouvent leur place dans le récit. Il y a de la poésie et même un côté onirique qui m'a beaucoup plu et contraste avec la froideur et l'hostilité des descriptions des faits qui se déroulent à Sainte-Cécilia. Cela les rend d'autant plus effroyables. C'est un roman coup de poing qui ne peut laisser personne indifférent. Il y a tant d'injustice là-dedans, tant de souffrances irréparables. Je me sens encore triste et en colère. Ce livre devrait avoir sa place dans toutes les bibliothèques. Décidément, ce monde ne tourne pas bien rond.
D'autres billets chez Jérôme et Noukette.