Hortense Dufour
316 pages, éditions Presses de la Cité, mai 2017

L'histoire :
A Port-des-Vents, village-îlot charentais bordé par l'océan, souffle un vent continu, ravageur. Parmi les habitants, une lignée de femmes puissantes, soudées, qui habitent une petite maison de pêcheurs. Les hommes de la famille sont morts. Le rude monde marin et les passions se sont chargés de ces morts-là. Les femmes, elles, rebâtissent sans cesse ce que le vent détruit. Chaque jour elles poussent la lourde brouette pleine d'huîtres. Elles sont les passeuses, se transmettant, immuablement, les gestes de la vie, de la maternité. Autour d'Adèle, l'aïeule, vivent quatre générations de femmes : Adrienne, Marjolaine, Indiana et Elena. Elles sont restées pour toujours à Port-des-Vents, sauf Elena qui s'en est éloignée et qui y revient quand les fruits du verger abondent ; les étés à Port-des-Vents sont splendides. Il y a celle, enfin, par qui tout est arrivé : Adrienne. " Tout est de la faute de la belle Adrienne. " Car à Port-des-Vents, les passions sont dévastatrices...
Merci à Babelio et aux éditions Presses de la Cité
pour cette lecture.
Mon avis :
Même s'ils sont tous deux très différents, ce roman d'Hortense Dufour et "Umami" de Laïa Jufresa dont je vous ai parlé la semaine dernière m'ont laissé la même impression. Il a fallu que je me batte un peu pour pouvoir y entrer et y trouver ma place. Il a fallu que je passe une sorte d'épreuve pour être acceptée par ces pages. Il a fallu des pages et des pages pour que les personnages m'ouvrent leurs portes. Je n'ai pas l'habitude de me battre pour lire. D'habitude, j'aime quand je suis happée dès les premières lignes. J'aime qu'on m'ouvre grand les bras, qu'on m'emmène ailleurs et qu'on m'accepte sans condition. Pourtant, ces épreuves et ces batailles en valaient la peine. Quelle récompense au bout de chemin...
Si l'écriture d'Hortense Dufour m'a vraiment déconcertée au début, j'ai fini par l'apprécier. Il y a du charme, de la force, de la passion, de l'authenticité, et ça colle vraiment bien à l'histoire ou plutôt aux histoires que l'auteur nous raconte. Ces histoires, ce sont celles des habitants d'un petit village-îlot charentais. Là-bas, on naît, on travaille dur, on apprend de ses aïeux, on vit ensemble, on se marie, on meurt mais on ne quitte que rarement Port-des-Vents ou alors on y revient. La vie y est à la fois dure, modeste et authentique. On suit plus particulièrement les femmes d'une même famille qui vivent ou ont vécu dans la même maison de pêcheurs, se sont transmises le savoir-faire et les valeurs, année après année, ont partagé les secrets, les souffrances, les joies et les peines. Adèle, Adrienne, Marjolaine, Indiana, Elena. Toutes sont des femmes fortes, passionnées et passionnantes que l'on n'a plus envie de quitter et encore moins d'oublier.
J'ai particulièrement aimé l'histoire si touchante de Pierre et Marjolaine. Un amour de toujours, comme une évidence qui est plus complexe qu'il n'y paraît, un vrai coup du sort. J'ai aussi beaucoup aimé la magnifique et mystérieuse Adrienne que les gens admirent et fuient en même temps. J'ai aimé la description des tâches quotidiennes notamment la préparation des repas. On croirait être à côté de ces femmes et sentir toutes ces bonnes odeurs de plats préparés avec des gestes sûrs mille fois reproduits. J'ai aussi adoré tous les passages qui concernent les naissances et les décès et toutes les traditions liées à ces évènements.J'ai été très touchée par toutes ces histoires de femmes. Ces femmes qui encaissent sans broncher le labeur, les deuils et la douleur. Ces femmes qui sont parfois envoyées vers une vie qu'elles n'ont pas choisi et qui regrettent parfois jusqu'à leur dernier jour un instant d'insouciance. Ces femmes punies d'être trop belles ou qui se punissent parfois elles-mêmes de s'être égarées ou écoutées un instant. Ces femmes qui génèrent tant de passion, qui survivent aux hommes et à ceux qu'elles aiment, qui n'ont d'autres choix que de reproduire les mêmes gestes encore et encore pour ne pas sombrer et pour que survive la lignée et la vie à Port-des-Vents. Ce sont les piliers du village, les fondations de la famille. Sans elles, il n'y aurait plus rien. Le vent aurait tout envoyé au loin.
J'ai aimé la fougue de l'auteur, la façon dont elle nous raconte la vie à Port-des-Vents et ses personnages. Il y a des passages vraiment magnifiques et très forts. De la poésie et de la passion. Là-bas, rien n'est à moitié. Tout est intense et passionné. On aime, on déteste, on jalouse, on souffre toujours à l'extrême. C'est à la fois beau et violent. A Port-des-Vents tout se sait, rien ne s'oublie. On vit avec sa famille, son histoire, son passé. On se transmet le bon comme le mauvais. La vie est dure à Port-des-Vents et pourtant chacun accepte le fardeau qu'on lui confie sans jamais se plaindre. On dirait que le temps n'a pas d'emprise sur cette vie-là. Les gens n'ont rien mais donnent tout. Ils s'épuisent à la tâche et s'ils s'arrêtent c'est comme s'ils acceptaient de mourir. Il y a une rage de vivre, une résignation, un courage qui n'a pas d'égal. Et pourtant, le courage, est-ce que ce ne serait pas justement de quitter cette vie-là ? Si le début de ma lecture a été difficile, j'ai finalement beaucoup aimé cet endroit, ces histoires, ces gens. Passionnément. On adore ou on déteste. Il ne peut en être autrement à Port-des-Vents.
En quelques mots :
Il a fallu que je m'accroche et que je sois patiente, mais j'ai finalement succombé au charme de Port-des-Vents. Il y a, dans ce roman, de l'amour, de la violence, de la force, du courage et beaucoup d'authenticité. C'est un roman intense et poignant avec lequel il n'y a pas de demi-mesure. On adore ou on déteste !
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Quelques extraits :
"L'intensité de ces jours heureux, à nuls autres comparables, je ne puis les lier aux affres et aux fulgurances amoureuses. Je les tiens intimement à l'abri de ce dieu furibond, jamais rassasié, toujours inquiétant : l'amour. L'amour - je parle de celui qui lie deux êtres -, l'amour, cet amour-là est trop violent. Cet amour que, subtilement, les femmes d'ici blâmaient en répétant l'histoire de "l'homme au vélo". J'approuvais, mais que dire, prise à mon tour aux vagues d'une telle turbulence ? Tempête sombre et exquise, faim jamais assouvie, certitude de souffrir... Cet amour-là, ce lent poison, biffe le radieux paysage, soumet les sens à son seul despotisme, éloigne toute idée de secours et de plénitude. L'amitié en est bannie. L'amour vint à moi comme une foudre, un dieu irrésistible et sans miséricorde, et je vins à lui, reléguant mes paysages heureux." (Page 37)
"Port-des-Vents. Notre terre, notre fond des mers, nos violences, nos mortels efforts pour sauver la moisson. Non, il n'y a pas de remords en ce pays, il y a le devoir, la force de continuer. Si les passions ici sont violentes, l'amour de cette terre gorgée d'eaux salées, de trésors et d'ordures, est plus fort que tout. Le vent, la mort nous en séparent, mais n'en éloignent jamais les vivants." (Page 276)
"La joie touche chaque être, si abandonné se croit-il. Un rayon de miel, le léger choc d'une mystérieuse allégeance ; la brièveté d'un repos si suave, seule, seule, en son parc. Chaque jour, à une certaine heure, il lui est offert un grand moment lumineux, ébloui, quand l'arc-en-ciel dessine un vitrail qui la baigne en entier. Une légère scoliose la fait souffrir, oh si peu, elle a encore tant de forces ! Mais rien ne détruit ce moment-là, cette grâce, entre l'aube, le crépuscule..." (Page 278)
"Peut-être est-ce notre force de femme qui refoule les malheurs et le vent et permet à Port-des-Vents de résister à tout, même à ses naufrages ? Quel Dieu, quel amour bien caché a fait de nous, les femmes d'ici, ces sentinelles et ces soldates qui savent lancer aux nuages leurs sanglots et ne ploient que pour mourir ?" (Page 314)