Altes Land - Dörte Hansen
280 pages, éditions Pocket, mai 2017
L'histoire :
Printemps 1945. Vera a 5 ans lorsqu’elle arrive au bras de sa mère dans cette vieille ferme perdue au milieu d’un immense verger. Elles ont quitté la Prusse orientale et traversé à pied une Allemagne ruinée par la guerre. Cette terre isolée sera leur halte, cette maison qui n’est pas la leur, leur refuge. Un lieu dont Vera ne repartira jamais. Soixante-dix ans plus tard, Vera voit arriver sa nièce Anne, son fils Leon sous le bras. Les deux femmes, que tout semble opposer, vont devoir apprendre à se connaître et cohabiter. Comme d’autres avant elles, entre ces murs ayant abrité des générations de femmes fortes et solitaires. Au contact l’une de l’autre et unies par la même détermination, Vera et Anne trouveront le chemin de la reconstruction.
Mon avis :
"A l'ombre des cerisiers" est un roman un peu singulier qui ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais qui se révèle terriblement beau et émouvant si on se montre patient et si on lui laisse sa chance. Je pense aussi qu'il faut trouver le bon moment pour le lire. Accepter de sacrifier un peu de son temps, de faire une pause dans son quotidien pour l'apprécier comme il se doit et se laisser bercer par sa mélodie. Il faut un peu de temps avant qu'il accepte de nous ouvrir ses portes et de nous livrer son histoire - Et quelle histoire ! - et comme l'ont fait Vera et les siens, je crois qu'il faut aussi s'imposer un peu pour y trouver sa place.
C'est l'histoire d'une maison. Une maison qui renferme les secrets et les fantômes des gens qui y ont vécu. Une maison dans laquelle on ne peut pas se sentir à l'aise si on n'y est pas né. Une maison qui craque, une maison qui n'en fait qu'à sa tête. Une maison qui semble avoir une vie propre et qui est un personnage à part entière. Une maison en apparence froide mais qui résiste à tout et ne vous lâche pas. Une maison qui est à l'image des personnages de ce livre. Elle subit les assauts, traverse les tempêtes, se fissure mais ne s'écroule pas. C'est une maison qui protège et dans laquelle on peut trouver refuge.
C'est aussi l'histoire de femmes d'une même famille qui ont traversé des épreuves terribles qui les ont changé à jamais. Des événements qui ont fait qu'elles se sont renfermées sur elles-mêmes et ont caché leurs sentiments et leurs émotions sous une bonne couche de glace. On dit que ça protège les fleurs alors pourquoi pas le coeur ?
C'est aussi un roman qui décrit la campagne, la vraie. Un livre qui nous parle des bons et des mauvais côtés de la vie là-bas et qui se moque des citadins et des bobos qui ont une image complètement biaisée et idyllique du monde rural. C'est un livre qui rend vraiment hommage aux gens de la campagne et qui nous invite à aller au-delà des apparences. C'est vraiment touchant la manière dont les personnages qui nous paraissent d'abord durs et même rustres sont finalement remplis d'amour, de douceur et de bienveillance.
C'est aussi un livre qui parle de musique, de solitude, de vieillesse, de refuge, de batailles, des horreurs de la guerre et de l'amour sous toutes ses formes qui est presque toujours là où on ne l'attend pas. On parle de courage et de reconstruction et bien sûr de la beauté de la nature. J'ai trouvé qu'il y avait aussi beaucoup d'humour et de dérision. On nous montre aussi qu'il n'est jamais trop tard pour changer, s'imposer, s'écouter, accepter l'autre et se relever. Une belle leçon de vie et d'humanité !
Ce qui est assez particulier, c'est qu'il n'y a presque pas d'action dans ce livre. Les personnages et les époques se mélangent un peu. L'écriture est assez contemplative. On observe le monde, on se laisse bercer. Et pourtant, paradoxalement, je trouve qu'il se passe beaucoup. Tout est dans les non-dits, les petits riens. Les personnages s'entraident, avancent à petit pas, se reconstruisent. Il y a quelque chose de profondément émouvant. L'humanité, la simplicité du quotidien, l'amour que l'on retrouve dans de petites attentions... Tout cela m'a touchée en plein coeur. Et ce rythme lent est finalement un cadeau. C'est comme une petite pause, une parenthèse bienvenue dans notre vie mouvementée. On s'arrête de courir un instant, on regarde, on écoute, on apprend.
Et puis, il y a cette nature qui est sans cesse en mouvement et que l'on suit au fil des saisons. On la voit changer, on observe les gens qui vivent à son rythme et savent s'adapter à elle. On a l'impression qu'ils changent leurs habitudes, mais ils vivent au rythme des saisons et refont les mêmes gestes chaque année. Cette ronde des saisons a quelque chose de salvateur et de rassurant parce qu'il y a des choses qui ne changent pas et ne changeront jamais malgré les années qui passent, malgré l'avancée de la technologie, malgré les décès et les séparations, malgré la tristesse et la douleur... J'ai trouvé ce roman reposant, poétique, plein de sensibilité, un brin mélancolique mais surtout terriblement beau et émouvant. Je conseille ce livre à ceux qui aiment la campagne et les vieilles pierres qui ont tant d'histoires à raconter.
En quelques mots :
Un roman plein de sensibilité et d'émotions qui m'a charmée et que je recommande aux amoureux de la nature et à ceux qui aiment la simplicité et ces petits riens qui font tout.
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Un petit extrait (les premières phrases du roman) :
"Certaines nuits, quand la tempête venait de l'ouest, la maison gémissait tel un navire ballotté sur une mer houleuse. Les rafales de vent s'acharnaient en hurlant sur les vieux murs.
Ca craque et ça crie comme une sorcière qui crame, se disait Vera, ou un enfant qui s'est coincé les doigts.
La maison gémissait, elle ne sombrerait pas."
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