Broken Paradise - Cecilia Samartin
453 pages, L'Archipel, juillet 2015
L'histoire :
Cuba, 1956. Nora et Alicia, deux cousines très proches et complices, vivent une enfance heureuse et insouciante. Mais la révolution éclate, et Fidel Castro accède au pouvoir. Un climat de peur, nourri par la répression, s'installe peu à peu. Nora émigre alors aux États-Unis, laissant Alicia derrière elle, qui s'apprête à vivre des heures sombres à La Havane. Tandis que Nora, bien nostalgique de son pays natal, s'accommode peu à peu de cet environnement nouveau, Alicia subit les coups durs, dans un Cuba où la situation se détériore. Grâce aux lettres qu'elles continuent d'échanger, Nora comprend que la vie d'Alicia est devenu un enfer. Elle décide alors de retourner à la Havane pour lui venir en aide. Mais ce qu'elle va découvrir à Cuba est bien loin de tout ce qu'elle pouvait imaginer...
Cecilia Samartin signe ici son roman le plus personnel, une histoire d'amitié et d'amour, une ode à cette île qui restera à jamais le paradis perdu de son enfance.
Mon avis :
Je n'ai pas été très active sur le blog ces derniers jours, et pour cause, j'étais totalement immergée dans la lecture du roman de Cecilia Samartin et je n'arrivais plus à m'en détacher. Dans ce livre, l'auteur a voulu nous parler de Cuba, l'île où elle est née, et de toutes les terribles épreuves que ses habitants ont affronté pendant et après la révolution. A travers l'histoire de deux cousines, Nora et Alicia, Cecilia Samartin nous montre le contraste terrible et saisissant entre l'avant et l'après. On observe, impuissant, l'île paradisiaque devenir le pire des cauchemars, un endroit dans lequel les habitants meurent de faim et se voient dépossédés de leur terre tandis que les touristes profitent des hôtels luxueux presque sous leurs yeux...
Je ne connaissais que peu de choses sur l'histoire de Cuba et ce roman m'a vraiment fait froid dans le dos. C'est le premier roman de Cecilia Samartin que je lis et j'ai tout de suite été charmée par sa plume. On sent tout l'amour et toute l'admiration qu'elle a pour son île natale. J'ai aimé la façon dont elle décrit le paysage, les saveurs et les odeurs. On a l'impression d'être là-bas, à l'autre bout du monde, faisant la sieste à l'ombre des palmiers après avoir dégusté du boeuf épicé aux poivrons, des mangues bien mûres et une glace à la noix de coco. J'ai adoré découvrir et suivre l'enfance de Nora et Alicia, leurs balades sur la plage, leurs jeux, leurs rêves, les repas de famille, les nuits rythmées par le son des tambours à la plantation de Tia Panchita, les moments passés avec Lola et Beba, les domestiques de la famille qui apportent chaleur et réconfort...
Et puis, les choses changent... Batista commence à semer la terreur. Les repas de famille deviennent plus lourds, on chuchote, on se tait à l'approche des enfants... Fidel Castro prend le pouvoir et ce qui apparaît d'abord comme une bénédiction pour les cubains se transforme rapidement en cauchemar. Plus de nourriture, plus d'argent, des gens envoyés en prison pour leurs idées contre-révolutionnaires, des fusillades diffusées à la télévision et bien d'autres horreurs encore. Les cubains ne veulent pas abandonner leur île mais certains n'ont plus le choix. Il faut partir le plus loin possible, le temps que les choses se calment. C'est ainsi qu'Alicia et Nora qui ont grandi ensemble vont se retrouver séparées. Alicia reste à Cuba tandis que Nora émigre aux Etats-Unis. Elles vont passer des années à imaginer la vie de l'autre et à s'écrire autant que possible, espérant être réunies un jour ou l'autre...
Les contrastes sont vraiment terrifiants. Il y a d'abord le contraste entre l'île avant et après la révolution, mais aussi le contraste entre le quotidien d'Alicia et celui de Nora. C'est un roman vraiment bouleversant. On a tant de peine pour les cubains - ceux qui restent et ceux qui sont déracinés et privés de leur pays et de leurs proches - et pour ces deux cousines. J'ai pleuré à plusieurs reprises durant ma lecture et je sais que c'est un roman que je n'oublierai pas. Tant de vies gâchées pour de mauvaises raisons, tant d'injustice dans notre monde ! Et dire que tout cela s'est passé il y a si peu de temps et que des horreurs similaires ont encore lieu aujourd'hui dans certains pays... Cecilia Samartin nous offre un roman très fort, riche en émotions et peuplé par des personnages inoubliables qui nous délivrent une vraie leçon de vie et de courage.
En quelques mots :
Un roman fort et poignant qui ne peut laisser personne indifférent. Cecilia Samartin dresse le portrait de Cuba avant et après la révolution. Le contraste entre les deux est terrifiant et l'histoire de ces deux cousines m'a vraiment bouleversée. A lire absolument !
Quelques extraits :
" Ce que j'aime par-dessus tout, c'est la chaleur, cette façon qu'elle a de s'insinuer, d'investir l'extrémité de mes doigts et de mes orteils, au point de me donner l'impression d'être indissociable du soleil, comme s'il s'épanouissait en moi. Avez-vous déjà vu l'océan se faire aussi lisse qu'une paroi de verre, ou rouler ses volutes sur le rivage avec un soupir ? Si vous connaissiez mon pays, vous sauriez que la mer peut être aussi versatile : d'un bleu fidèle à celui du ciel, et l'instant d'après d'une couleur turquoise irisée, si étincelante qu'on jurerait voir le ciel briller sous la surface des vagues.
Souvent, je m'attarde au bord de l'eau, les orteils plantés dans le sable humide, les yeux rivés sur cette ligne grise et fuyante de l'horizon qui sépare le ciel et la mer. Je ferme un tout petit peu les yeux, jusqu'à ne plus vraiment les distinguer l'un de l'autre, et je flotte dans un univers bleu-vert. Je suis poisson, je suis oiseau. Je suis sirène d'or à la chevelure fluide flottant au vent. D'un coup de queue je pourrais regagner la haute mer et explorer d'autres rivages. Mais comment quitter ce lieu qui apaise mon âme et l'ouvre à la prière ?"
"La tristesse du départ n'est comparable à nulle autre expérience [...] elle te frappe par grosses vagues qui peuvent t'arracher au sol quand tu crois avoir les pieds fermement ancrés sur la terre. Tout peut aller très bien, et voilà que tout à coup, tu entends les accords d'une chanson, ou tu sens des oignons en train de frire dans l'huile d'olive, et voilà que ton coeur se brise à nouveau en mille morceaux., juste comme ça. Tu vendrais ton âme pour te retrouver chez toi, ou pour éprouver un simple sentiment d'appartenance... quelque part... n'importe où. C'est là qu'il faut t'accrocher à ce que tu es. Et ne livre jamais tout à fait ton vrai coeur, si brisé, si blessé soit-il, parce que, si tu le fais, tu perds alors quelque chose que tu risques de ne jamais retrouver. Il vaut mieux livrer ton coeur fantôme, et alors tu sauras toujours qui tu es."
"[...] les souvenirs sont comme des bijoux qu'on ne peut jamais te voler."
"La peur ne flotte pas, disait toujours Abuelo au cours de ses leçons; elle coule à pic, chaque fois. Mais le courage, lui, disait-il, les yeux brillants, ne fait pas que flotter, il vole !"