Claire Huynen
160 pages, Le Cherche midi, mai 2015
Quatrième de couverture :
« Des centaines de personnes se serraient frileusement autour de leur guide. [...] Des rangs entiers de bateaux de bois jouaient les autobus. Ils embarquaient leurs passagers fébriles à un rythme de marche militaire. Dans toutes les barcasses, ça comptait et ça recomptait. Les guides surveillaient leur formation en ordre serré. [...] La semonce essentielle, répétée inlassablement, était pourtant celle dont le danger la séduisait le plus : ne vous perdez pas. [...] Mais elle savait que tous les passagers avaient un billet de retour. Que le seul vrai danger était d'être en retard pour le dîner. »
Une mère offre à sa fille un voyage. Une croisière sur le Nil à bord du Cleopatra, hôtel flottant affrété par Magic'Vacances. Mais, dès l'arrivée, la mère trébuche et se trouve immobilisée par une entorse. Condamnée à rester sur le bateau, elle attend chaque jour le récit des excursions de sa fille.
Une femme et sa mère, que tout éloigne, se rencontrent à travers l'approche d'un pays qu'elles découvrent d'une manière différente. Quand la première sera entraînée dans le rythme effréné des visites, la seconde, à travers les histoires et les rencontres, prendra le temps lent du voyage. Néfertiti en bikini dresse avec humour les travers du tourisme moderne et les symptômes du phénomène de groupe qu'il génère. Il sera aussi question d'éblouissement, de résistance et de reddition.
Merci à Livraddict et aux éditions Le Cherche Midi pour cette lecture.
Mon avis :
Si on se fie à la couverture de ce livre, on le classerait volontiers dans les romans de chick lit, mais ne vous y trompez pas ! Ce roman est bien plus profond qu'il n'y paraît, bien plus acerbe aussi...
Lorsqu'elle était enfant, Jo s'est passionnée pour l'Egypte. Elle a passé des heures et des heures à rêver de pyramides et de pharaons. Puis, elle a grandi et voyant que personne ne prenait sa passion au sérieux, elle a laissé tout cela dans un coin de sa tête. Jusqu'au jour où sa mère avec qui elle ne partage pas grand chose lui fait la surprise de lui offrir une croisière sur le Nil. Ne voulant pas lui faire de peine, Jo accepte avec le sourire, mais elle redoute ce voyage. Elle sait que les choses ne se passeront pas comme dans ses rêves, que la beauté du décor sera salie par le contexte. C'est l'Egypte passée qui la fait rêver, pas celle des touristes en tongs et des visites supervisées où l'on vous offre de la "culture en kit". Pour couronner le tout, sa mère qui n'a jamais voyagé se retrouve immobilisée dès le début de l'aventure. Clouée au lit à cause d'une entorse, elle compte sur sa fille pour lui raconter chaque visite, chaque moment passé avec le groupe.
J'ai beaucoup aimé cette lecture. Claire Huynen écrit vraiment très bien et décortique avec beaucoup de justesse et d'humour le tourisme actuel. Avec Jo, on se moque de tous ces gens qui s'émerveillent plus devant le buffet à volonté que devant le décor majestueux qui s'offre à eux. Ces touristes qui semblent faire les visites à reculons, sans apprécier vraiment les choses, en espérant juste avoir quelques anecdotes à raconter et des bijoux de pacotille pour épater leurs amis. Comme Jo, on voudrait pouvoir s'évader de ce séjour formaté qui sent l'argent à plein nez et sonne tellement faux. On voudrait découvrir l'Egypte, la vraie, se perdre dans les rues, observer les habitants, prendre le temps de visiter et de s'oublier, boire un thé bien chaud en admirant le paysage et profiter du silence. Comme elle, on se sent rapidement frustré et mal à l'aise devant l'attitude des autres, forcé de s'intégrer à un groupe ridicule et trop bruyant qui ne s'intéresse à rien, qui se contente de ce qu'on veut bien lui montrer. On étouffe et on rêve d'autre chose que cette Egypte aseptisée.
A l'inverse, la mère de Jo qui, au début du voyage, rêve surtout de passer du temps avec le groupe, va découvrir le pays d'une manière différente et beaucoup plus vraie. C'est intéressant de voir les choses sous un angle différent. J'ai aimé la manière subtile dont l'auteur décrit la relation compliquée mais tout de même pleine d'amour entre la mère et la fille. Leurs échanges bien qu'assez rares sont touchants.
En quelques mots :
Une lecture acerbe et décapante sur le tourisme actuel et l'absurdité des voyages organisés. Une satire drôle et agréable à lire.
Quelques extraits :
"Au sombre des hauts toits, avant même de distinguer la masse des colonnes, l'ampleur de la pièce, l'abondance des reliefs, Jo se cogna à un air saturé, épais et chaud jusqu'à la nausée. Des touristes par centaines avalaient l'oxygène, mâchaient l'atmosphère à la rendre liquide. Des remugles d'humeurs âcres rendaient le milieu moite et entêtant. Et ça fourmillait. Pas un espace n'était laissé. On n'avançait qu'en se faufilant, en s'insinuant, en frôlant des peaux humides."
"- Pourquoi tous ces gens s'ennuient-ils en vacances ? Ils accèdent à des choses qu'ils ne reverront jamais. C'est important, je crois, de découvrir quelque chose que l'on ne connaît pas. Même si on ne comprend pas tout. Pourquoi cela a-t-il si peu de valeur pour eux ?"
"Déjà il lui faut rentrer au bateau. Elle n'aura vu qu'Assouan côté pile. Celui rythmé par l'arrivée des bateaux, par les horaires de visite. Peut-être est-ce mieux qu'elle laisse aux égyptiens la plus belle face. On leur en a assez pris."
"Que diriez-vous si les touristes égyptiens venaient chez vous attifés d'un béret basque, avec une baguette en plastique sous le bras, et ricanaient autour d'un accordéon de farce ? On n'essaie pas d'approcher les oiseaux en se déguisant en autruche."